Les marées dans le système de Jupiter

L’histoire commence le 9 Mars 1979 à 10h00, exactement 4 jours après le survol historique de Jupiter par la sonde Voyager 1. En scrutant un des derniers clichés pris par la sonde, Linda Morabito et Steve Synnott, tous les deux ingénieurs au JPL-Caltech, découvrent un panache volcanique s’élevant plus de 100 km au-dessus de la surface de la lune Io : Pour la première fois, on observe des volcans actifs sur un autre corps que la Terre ! Bien que surprenante, une telle activité avait été anticipée dans une étude de Stanley Peale et collaborateurs publiée une semaine plus tôt dans la revue « Science ». À peine découverte, ces éruptions volcaniques surprenantes avait déjà une explication : les marées de Jupiter !

Conséquences des effets de marée sur les lunes de Jupiter et résonance de Laplace. © NASA/JPL/Voyager/Galileo

Sur Io, en raison de sa proximité de la planète géante, les forces de marée générées par la gravité de Jupiter sont particulièrement intenses, mais elles jouent également un rôle important sur les autres lunes. Alors que ces dernières tournent autour de la géante sur une orbite légèrement elliptique, l’intérieur des lunes se déforme périodiquement. À chaque cycle de marée, une partie de l’énergie mise en jeu par ces mouvements internes est convertie sous forme de chaleur.  Dans le cas d’Io, le chauffage de marée est tellement intense qu’il entraine une fusion des roches, se traduisant par des éruptions cataclysmiques en surface.

Sur Europe, bien que le chauffage attendu soit moindre, l’amplitude des marées peut atteindre 60 mètres ! Ces marées seraient le moteur des nombreuses structures tectoniques observées à sa surface glacée et permettrait de maintenir un océan d’eau salée à faible profondeur. Le chauffage de marée pourrait également produire une activité volcanique localisée sur le fond de son océan, favorisant ainsi l’existence de systèmes hydrothermaux, potentiels oasis de vie.

Si sur Ganymède, les marées sont à l’heure actuelle de l’ordre de 7-8 mètres, elles ont pu atteindre des amplitudes comparables à celle d’Europe dans le passé, en raison des perturbations gravitationnelles provoqués par Io et Europe. Ces trois lunes ont en effet une configuration orbitale particulière appelée résonance de Laplace, en hommage au mathématicien français qui l’avait constatée et décrite mathématiquement à la fin du XVIIIe siècle. Chaque fois que Ganymède effectue une révolution autour de Jupiter, Europe en effectue deux et Io quatre. À intervalle régulier, les lunes se retrouvent ainsi alignées, accentuant l’ellipticité de leur orbite et  amplifiant ainsi les fluctuations de marée.

En 2035, la mission JUICE mesurera pendant plusieurs mois les amplitudes des marées de Ganymède avec une précision inégalée, de l’ordre de quelques centimètres, qui devrait permettre de déterminer la profondeur et la densité de son océan salé. Pour Callisto, la lune galiléenne la plus lointaine de Jupiter, la précision sera moindre mais tout de même suffisante pour confirmer l’existence d’un océan interne. En raison de fortes radiations, la sonde JUICE ne pourra pas s’approcher d’Io pour quantifier ses marées. L’observation à distance permettra tout de même de surveiller son activité volcanique. JUICE participera aussi à la caractérisation des marées d’Europe lors de deux survols dédiés en complément des observations de la sonde NASA Europa Clipper. L’ensemble des survols réalisés par ces deux sondes permettra de reconstruire précisément le ballet orbital incessant des lunes autour de Jupiter et de comprendre comment la résonance de Laplace a façonné leur tumultueuse histoire…
Auteur : Gabriel Tobie, Directeur de recherche CNRS

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Publié le 3 avril 2023