ANR DYRE-COMB

a.     Objectifs et hypothèses de recherche

La structure et la dynamique du manteau et du noyau de la Terre sont déterminées par le flux de chaleur à travers la limite noyau-manteau (core-mantle boundary = CMB) (Lay et al., 2008). Comme indiqué dans une revue récente sur la modélisation de la géodynamo (Wicht et Sanchez, 2019), des progrès significatifs ont été réalisés grâce à « l’incorporation d’effets tels que le modèle de flux de chaleur imposé par le manteau de la Terre ». Le modèle de flux de chaleur de la CMB affecte facilement les morphologies de la convection du noyau et le champ géomagnétique généré (Amit et al., 2015a). Les modèles de champ paléomagnétique et archéomagnétique (Korte et al., 2009 ; Panovska et al., 2018) qui s’étendent sur plusieurs millénaires jusqu’aux 100,000 dernières années donnent des indications précieuses sur les caractéristiques persistantes qui peuvent être contrôlées par l’hétérogénéité thermique du manteau inférieur. Il s’agit notamment de l’anomalie de l’Atlantique Sud (SAA) – une région où l’intensité du champ géomagnétique est particulièrement faible à la surface de la Terre, où des particules énergétiques pénètrent dans l’atmosphère, posant ainsi de graves problèmes aux systèmes de positionnement et à l’électronique des engins spatiaux (Heirtzler, 2002). Notre objectif est d’identifier ces caractéristiques persistantes du champ géomagnétique dans les observations paléomagnétiques, qui seront ensuite utilisées pour évaluer dans quelle mesure les champs produits par les modèles de dynamo avec un flux de chaleur hétérogène à la frontière extérieure ressemblent à ceux de la Terre.

Pour retrouver les caractéristiques géodynamiques contrôlées par l’hétérogénéité thermique du manteau inférieur, il est nécessaire d’avoir une connaissance précise du modèle de flux de chaleur de la CMB. Les contributions compositionnelles et minéralogiques à la variabilité latérale de la vitesse sismique dans la couche D” faussent les déductions du flux de chaleur CMB à partir de la tomographie sismique. Nous déduirons les relations thermiques-sismiques des simulations de convection du manteau afin d’isoler la partie thermique des anomalies sismiques. Notre objectif est d’appliquer cette relation aux modèles de tomographie du manteau (par exemple Houser et al., 2008) afin de modéliser correctement le flux de chaleur de la CMB.

L’hétérogénéité thermique du manteau inférieur peut fortement affecter les propriétés de la dynamique du noyau et de la géodynamo (Amit et al., 2015a). La propriété la plus fondamentale des modèles de dynamo est leur régime, c’est-à-dire si le champ magnétique généré est à dominante dipolaire sans inversion ou multipolaire avec inversion (Christensen et Aubert, 2006). La géodynamo présente des transitions entre ces deux états. Le champ géomagnétique actuel est dominé par un dipôle (p. ex. Jackson et al., 2000), tandis que les archives paléomagnétiques sont ponctuées de nombreuses inversions et excursions au cours desquelles le dipôle était faible (p. ex. Merrill et al., 1998). Une interprétation des modèles dynamo place le noyau de la Terre à proximité de cette transition (Olson et Christensen, 2006), de sorte que de petites modifications de la vigueur de la convection du noyau ou du taux de rotation peuvent entraîner un changement de régime (Driscoll et Olson, 2009), réconciliant ainsi le champ actuel dominé par le dipôle et l’apparition de inversions dans l’enregistrement paléomagnétique.

Ce projet vise à établir l’impact du flux de chaleur hétérogène de la CMB sur les régimes dynamo et le champ géomagnétique qui en résulte. Grâce à son architecture spécifique basée sur des tâches indépendantes, le projet DYRE-COMB apportera une compréhension fondamentale et améliorée de la dynamique de la Terre profonde de part et d’autre de la CMB. Nos principaux objectifs sont présentés à travers les questions suivantes :

  1. Quel est la structure actuel du flux de chaleur de la CMB ?
  2. Quelles sont les caractéristiques du champ magnétique terrestre à l’échelle du millénaire ? L’SAA est-elle une caractéristique persistante du champ géomagnétique ?
  3. Quels sont les ingrédients nécessaires pour obtenir des champs magnétiques semblables à ceux de la Terre à des échelles millénaires dans les modèles de dynamo ?
  4. Comment les régimes dynamo dépendent-ils de l’amplitude et de la structure de l’hétérogénéité du flux de chaleur de la CMB ?

Pour surmonter les obstacles scientifiques associés à chacun de ces objectifs, nous combinerons des modèles de tomographie sismique, des simulations de convection du manteau, des simulations numériques de dynamo et des modèles de champ géomagnétique sur différentes périodes. L’objectif 1 sera abordé en déduisant la relation entre les anomalies sismiques et thermiques dans les simulations de convection du manteau et en appliquant cette relation aux modèles de tomographie du manteau (tâche 2). L’objectif 2 sera abordé par une analyse approfondie des caractéristiques spatiales récurrentes dans un ensemble de modèles de champ géomagnétique (tâche 4). La barrière des objectifs 3 et 4 sera levée par une étude paramétrique systématique des dynamos numériques avec un flux de chaleur hétérogène à la frontière extérieure (tâches 1 et 3). Enfin, la tâche 5 fusionnera les résultats des quatre premières tâches pour répondre à l’objectif principal du projet.

Les résultats attendus incluent un ensemble de modèles réalistes de flux de chaleur à la CMB, des critères pour des modèles de champ magnétique semblables à ceux de la Terre à des échelles de temps millénaires et l’élucidation de la dépendance des régimes dynamo sur l’hétérogénéité, l’amplitude et le modèle du flux de chaleur à la CMB. La dernière partie du projet contient des recherches plus risquées. Si nous découvrons que la géodynamo est effectivement proche de la transition entre les régimes dominés par les dipôles et les régimes avec inversions, alors de petits changements dans la vigueur de la convection du noyau ou dans le taux de rotation peuvent entraîner un changement de régime (Driscoll et Olson, 2009), réconciliant ainsi le champ actuel dominé par les dipôles et l’occurrence des inversions dans l’enregistrement paléomagnétique. En revanche, un flux de chaleur hétérogène du CMB peut stabiliser une dynamo avec inversions correspondante avec des conditions aux limites homogènes ou déstabiliser une dynamo qui ne s’inverse pas (par exemple Glatzmaier et al., 1999 ; Olson et al., 2010). Par conséquent, nos modèles qui incluent les effets de l’hétérogénéité du flux de chaleur du CMB pourraient réfuter le scénario selon lequel la géodynamo est proche de la transition de non-inversions à inversions et localiser la géodynamo loin de cette transition. Une autre étude risquée concerne la persistance de l’SAA. Alors que des épisodes de faible champ de surface dans l’Atlantique Sud ont été identifiés dans les modèles de champ paléomagnétique (Brown et al., 2018), il n’est pas certain que cette région présente une récurrence statistiquement significative de ces anomalies.

Fig. 1: Dynamo regimes, their transition, field morphologies and reversability.
Fig. 2: Seismic heterogeneity of the lower mantle, possible CMB heat flux models, the impact of CMB heat flux heterogeneity on the geodynamo and the South Atlantic Anomaly.

b. Méthodologie et gestion des risques

Pour atteindre les objectifs de ce projet, nous avons élaboré un plan de travail détaillé comprenant cinq tâches. Le calendrier et le personnel impliqué dans chaque tâche sont présentés à la figure 3. Les tâches sont décrites ci-dessous.

Tasks, work schedule, organization and staff

Fig. 3 : Organisation et tâches

Coordinateur et partenaires : le coordinateur du projet est Hagay Amit, chargé de recherche CNRS au LPG. L’Institut Terre et Environnement de Strasbourg (ITES) et le Laboratoire Magmas et Volcans (LMV) contribuent au projet.