Les sidérophores bactériens : décryptage de leur rôle dans la mobilisation et la phytodisponibilité du cuivre dans les sols

Á doses trop élevées dans les sols, comme c’est le cas dans certains vignobles traités par la bouillie bordelaise depuis plus d’un siècle pour lutter contre le mildiou, le cuivre (Cu) peut être toxique pour certains organismes qui les peuplent. C’est pourquoi, au-delà de mieux comprendre le fonctionnement biogéochimique de ces sols, la question de leur dépollution se pose.

Le travail s’est focalisé sur certaines bactéries du sol connues pour produire des sidérophores. Ces complexants des métaux libérés dans le sol servent avant tout aux bactéries à mobiliser le fer (rendu alors biodisponible) dont elles ont besoin. Mais, ces bactéries pourraient aussi augmenter la biodisponibilité d’autres métaux du sol dont le cuivre, et ainsi favoriser son absorption par les plantes.
Sur la base de la compréhension fine des interactions Cu-sol-bactéries-plantes (Fig. 1), un procédé innovant d’extraction du cuivre par du tournesol associé à une bactérie du genre Pseudomonas a été testé avec succès afin de réduire la charge en cuivre des sols viticoles.

Figure 1 – Schéma de principe de la mobilisation du cuivre par la pyoverdine (sidérophore bactérien, Pvd) et sa phytodisponibilité

Ce travail qui a impliqué les sites de Nantes et Angers du LPG ainsi que le BRGM et l’INRAE Bordeaux s’inscrit dans le cadre des projets POLLUSOLS et VITALICUIVRE coordonnés par Thierry Lebeau et portés par l’OSUNA.

Des sols viticoles contaminés au cuivre ont été cultivés avec du tournesol (plante accumulatrice) en conditions contrôlées de laboratoire. L’une des conditions a consisté à « bioaugmenter » ces sols, c’est-à-dire à les inoculer avec des bactéries du genre Pseudomonas sélectionnées pour leur potentiel avéré à produire des complexants (sidérophores tels que la pyoverdine) et à augmenter à la fois la croissance des plantes et leur tolérance à la toxicité des métaux.

Des techniques d’imagerie non invasives – 2D-DET (Diffusive Equilibrium in Thin film) et 2D-DGT (Diffusive Gradient in Thin film) – ont permis de visualiser simultanément le système racinaire et la dynamique des éléments dans le sol pour mieux comprendre les mécanismes physico-chimiques et biologiques qui contrôlent la mobilité et la phytodisponibilité des éléments dans le sol.

La cartographie de la rhizosphère (DET) (Fig. 2) a révélé la présence de sidérophores (pyoverdine) au plus proche des racines d’un sol viticole carbonaté inoculé par Pseudomonas et, de manière concomitante, une augmentation importante des concentrations de fer et de phosphate dissous. Dans la solution du sol, l’augmentation des concentrations en fer et phosphate a été confirmée de même que celles de Cu, Al, Mn, Zn, NO3, NH4+.

Figure 2 – Images 2D-DET des métallophores dissous “libres” (a/a’), du pH (b/b’), du fer dissous (c/c’) et du phosphate dissous (d/d’) à l’interface sol-racine dans un sol carbonaté de vignoble cultivé avec du tournesol (cv. Velox) et bioaugmenté ou non (témoin) avec Pseudomonas fluorescens

Pour autant, l’augmentation de la mobilité des éléments suivis (2D-DET) n’a pas toujours conduit à une augmentation de la biodisponibilité (2D-DGT, données non montrées), notamment celle du cuivre. En effet, la production de pyoverdine s’est traduite par une augmentation de la quantité totale de Cu en solution (Fig. 3a) mais simultanément par une diminution de celle de Cu2+ dit « cuivre libre » (Fig. 3b), forme préférentiellement assimilée par les plantes. On aurait donc pu s’attendre à une diminution des performances de phytoextraction. Pourtant celles-ci ont doublé (Fig.3c) ce qui laisse supposer que le complexe pyoverdine-Cu s’est dissocié dans la rhizosphère avant prélèvement du Cu2+ par la plante.

Figure 3 – Concentrations totales (en M) de Cu (a) et de Cu2+ (b) en solution de sols viticoles carbonatés (C) et non carbonatés (NC) et quantités de Cu extraites (en µg) dans les parties récoltables du tournesol (c). En gris, sol non bioaugmenté ; en vert, sol bioaugmenté

On notera enfin que les performances de phytoextraction du Cu associée à la bioaugmentation ont été plus élevées dans les sols carbonatés, en raison de la moindre biodisponibilité du fer dans ces sols alcalins qui entraîne une production accrue de pyoverdine impliquée dans la mobilisation du Cu.

La phytodisponibilité et par conséquent les performances de phytoextraction pourraient encore être augmentées en favorisant la décomplexation à proximité des racines du complexe pyoverdine-Cu mais également celle de nombreuses matières organiques dissoutes qui complexent aussi le cuivre.

Références bibliographiques

D’Incau E., Lépinay A., Capiaux H., Gaudin P., Cornu J.Y., Lebeau T. (2022) Effect of Pseudomonas putida-producing pyoverdine on copper uptake by Helianthus annuus cultivated on vineyard soils. Science of the Total Environment, 802, https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.152113

Randriamamonjy S., Mouret A., Metzger E., Gaudin P., La C., Capiaux H., Launeau P., Giraud M., Cornu J-Y., Lebeau T. (2021). 2D distribution of Pseudomonas fluorescens activities at the soil-root interface of sunflower grown on vineyard soils: effects on copper uptake. Soil Biology and Biochemistry, 163, (DOI: 10.1016/j.soilbio.2021.108462).

Contact : Thierry Lebeau

Publié le 21 décembre 2022