Anciens réseaux de vallées et glaciations sur Mars

Le retrait des grandes nappes glaciaires du Quaternaire sur la Terre a exposé des paysages saisissants, notamment de vastes champs de sol affouillé et des caractéristiques linéaires massives s’étendant sur des centaines de kilomètres. Ces formes de relief indiquent que de l’eau était présente sous ces vastes masses de glace. L’absence de paysages similaires sur Mars a intrigué les scientifiques pendant des décennies, et a conduit à la croyance que l’eau ne pouvait pas être présente sous les anciennes masses de glace martiennes. Cette croyance est aujourd’hui remise en question par une nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters. Les résultats montrent que les couches de glace sur Mars se sont probablement déplacées et érodées à des vitesses extrêmement lentes, même lorsque de l’eau s’est accumulée sous la glace.

Pour parvenir à cette conclusion, l’auteur principal et postdoc Marie Curie Anna Grau Galofre du Laboratoire de Planétologie et Géosciences, précédemment chargée d’exploration à l’École d’exploration de la Terre et de l’Espace de l’ASU, a adapté aux conditions martiennes le cadre physique existant qui décrit le drainage de l’eau accumulée sous les couches de glace terrestres, couplé à la dynamique du mouvement de la glace. Elle et ses co-auteurs (Prof. Whipple et Christensen à ASU, et Dr. Conway à LPG) ont considéré la dynamique de deux couches de glace équivalentes sur Terre et sur Mars, avec la même épaisseur, la même température et la même disponibilité d’eau sous-glaciaire, afin de déterminer si le drainage sous-glaciaire évoluerait vers des configurations efficaces ou inefficaces sur Terre et sur Mars – et quel effet cette configuration aurait sur la vitesse de glissement glaciaire et l’érosion glaciaire.

L’étude a été motivée par l’absence de paysages glaciaires caractéristiques sur Mars, y compris dans les zones où certains reliefs produits par l’action de l’eau sous-glaciaire – tels que les eskers et les canaux sous-glaciaires – avaient été identifiés. De même, l’absence de paysages glaciaires linéaires caractéristiques dans les plateaux de haute latitude de l’Arctique canadien, où des nappes glaciaires avec une fonte basale localisée existaient jusqu’à récemment, a suggéré que Mars pourrait avoir été également largement glaciée.

Paysages glaciaires de l’île Axel Heiberg (archipel arctique canadien) montrant des paysages glaciaires typiques (glaciers) et atypiques (canaux sous-glaciaires, en bas à droite).
Crédit : A. Grau Galofre

“Si l’on passe d’une Mars primitive avec présence d’eau liquide en surface, de vastes couches de glace et de volcanisme, à la cryosphère globale qu’est Mars aujourd’hui, l’interaction entre les masses de glace et l’eau basale a dû se produire à un moment donné”, explique Grau Galofre.

Il est très difficile de croire qu’au cours des 4 milliards d’années de l’histoire planétaire, Mars n’a jamais développé les conditions nécessaires à la croissance des couches de glace avec la présence d’eau sous-glaciaire, puisqu’il s’agit d’une planète avec un vaste inventaire d’eau, de grandes variations topographiques, la présence d’eau liquide et gelée, du volcanisme, située plus loin du Soleil que la Terre. À un moment donné, une glaciation étendue avec présence d’eau basale a dû se produire. Donc, si les paysages caractéristiques de cette interaction font défaut, la clé se trouve peut-être dans la dynamique différente de la glace atteinte entre la Terre et Mars.

Les résultats de cet effort de modélisation démontrent comment les masses de glace glaciaire draineraient leur eau de fonte basale beaucoup plus efficacement sur Mars que sur la Terre, empêchant largement toute lubrification basale de la glace qui entraînerait des taux de glissement rapides et une érosion glaciaire accrue. En effet, les formes de relief linéaires typiques de la Terre n’auraient pas le temps de se développer sur Mars, selon cette étude.

La glace est incroyablement non linéaire. Les rétroactions entre le mouvement glaciaire, le drainage glaciaire et l’érosion glaciaire donneraient lieu à des paysages fondamentalement différents liés à la présence d’eau sous les anciennes couches de glace sur Terre et sur Mars. Alors que sur Terre, on obtiendrait des drumlins, des linéations, des marques d’affouillement et des moraines, sur Mars, on aurait tendance à obtenir des canaux et des crêtes d’esker sous une couche de glace ayant exactement les mêmes caractéristiques.

Des chenaux sous-glaciaires, et l’absence de paysages d’érosion glaciaire linéaires typiques, sur les plateaux de l’île Devon (archipel arctique canadien). Selon l’étude, les paysages glaciaires martiens pourraient avoir été similaires à ceux-ci.
Crédit : A. Grau Galofre

Ce travail a donc permis l’interprétation de l’enregistrement glacio-géologique sur Mars, et vise à améliorer la compréhension des anciennes glaciations martiennes, telles que celles couvrant la région circumpolaire sud il y a des milliards d’années.

Référence bibliographique : Valley Networks and the Record of Glaciation on Ancient Mars, Anna Grau Galofre, Kelin X. Whipple, Philip R. Christensen, Susan J. Conway, Geophysical Research Letters, July 2022
> https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2022GL097974

Publié le 6 septembre 2022