Pluton : la dynamique de la glace d’azote se dévoile

Quiconque a frissonné en sortant de l’eau par une chaude après-midi ensoleillée a expérimenté, peut-être sans le savoir, l’importance de la chaleur latente. L’eau qui couvre notre corps change d’état, de liquide à vapeur, ce qui consomme de l’énergie, cette fameuse chaleur latente. Ainsi l’évaporation refroidit notre peau et la transpiration fonctionne sur ce principe pour réguler notre température corporelle. Une telle chaleur latente est impliquée dans tous les changements d’état, y compris la sublimation, la transformation d’un solide en gaz et qui est impliquée dans dynamique de Pluton.

Pluton, la plus grande des planètes naines, qui demeura longtemps neuvième planète du système solaire a été survolée le 14 juillet 2015 par la sonde américaine New Horizons. Ce passage unique a suffi à révolutionner la connaissance du système Pluton-Charon, révélant notamment une activité géologique imprévue de Pluton, encore en cours. Cette vigueur fut en effet une surprise dès lors que la distance de Pluton au Soleil et l’absence présumée de source intense de chaleur interne laissait plutôt présager d’un état fossile.

La découverte la plus emblématique de la mission fut celle d’une plaine brillante, Sputnik Planitia, un peu plus vaste que la France, qu’on interpréta vite comme résultant du remplissage d’un cratère d’impact par la glace d’azote. Les conditions de pression et température permettent en effet à l’azote gazeux présent dans l’atmosphère de Pluton (comme c’est le cas pour la Terre ou Titan), de cohabiter avec sa phase glacée à la surface et les modèles climatiques de Pluton prédisent son accumulation dans Sputnik Planitia. Un pavage polygonal singulier fut rapidement tenu comme la marque de la convection thermique de la glace d’azote renouvelant la surface en permanence. La source de poussée d’Archimède à l’origine de ces mouvements demeurait jusqu’à présent énigmatique car la chaleur provenant de l’intérieur de Pluton occasionnerait une topographie inverse de celle observée.

Dans une étude publiée le 16 décembre 2021 dans la revue Nature, des chercheurs de l’Université d’Exeter (UK), du Laboratoire de Géologie de Lyon et du Laboratoire de Planétologie et Géodynamique à Nantes montrent que c’est la sublimation de la glace d’azote en surface de Sputnik Planitia, par le refroidissement qu’elle occasionne, qui engendre la dynamique de la couche de glace sur des échelles de temps d’environ 100 000 ans. Les preuves de sublimation de l’azote abondent en effet sur Sputnik Planitia telles que la structure rugueuse de petite échelle sur la figure de gauche. L’étude de la croissance des morphologies depuis le centre des cellules polygonales vers l’extérieur a même permis de quantifier la dynamique convective de la couche de glace : en surface, les vitesses sont comparables à celles des plaques tectoniques sur Terre.

La dynamique de la glace d’azote sur Pluton. À gauche, une partie de la plaine de Sputnik Planitia montrant des formes polygonales dues à la convection dans la glace (Extraite de https://www.nasa.gov/image-feature/pluto-s-icy-plains-in-highest-resolution-views-from-new-horizons) © NASA/JHUAPL/SwRI). À droite, les anomalies de température sous la surface de la glace telles que prédites par un modèle numérique proposé par les auteurs de l’étude, © A. Morison/S. Labrosse/G. Choblet

Le modèle théorique et les calculs numériques présentés dans cet article montrent que la chaleur latente consommée par la sublimation quand l’ensoleillement est suffisant, entraîne localement le refroidissement de la surface. Le principe est le même que celui de la transpiration qui permet aux beaux jours de refroidir le corps humain. Les échelles caractéristiques observées dans les calculs de convection pour ce régime polygonal sont en accord avec les estimations produites par l’analyse des données de New Horizons ces dernières années (taille des polygones, amplitude de la topographie, vitesse de surface) ainsi que l’âge de l’ère astronomique pendant laquelle la sublimation se produit à ces latitudes (un ou deux millions d’années).

Ce nouveau type de dynamique d’une couche géologique à l’état solide, façonnée par le climat, ressemble plus à celle des océans sur Terre qu’à celle des couches de glace des lunes de Jupiter et Saturne. Elle pourrait intervenir à la surface d’autres objets planétaires tels que Triton, la lune de Neptune, ou tels Eris et Makemake, les plus gros corps de la Ceinture de Kuiper Makemake.

> Référence : Sublimation-driven convection in Sputnik Planitia on Pluto. A. Morison, S. Labrosse & G. Choblet. Nature, le 15 décembre 2021. DOI : https://doi.org/10.1038/s41586-021-04095-w

> Contacts : Chercheur CNRS l Gaël Choblet l T +33 6 07 27 12 88. l gael.choblet@univ-nantes.fr / Chercheur ENS de Lyon l Stéphane Labrosse l T + 33 06 20 28 30 66 l stephane.labrosse@ens-lyon.fr

Publié le 14 décembre 2021