Impacts potentiels de l’activité des cable bacteria sur les foraminifères benthiques à coquille indurée : implications pour leur interprétation comme bioindicateurs ou paléoproxis
L’effet de l’acidification des sédiments marins côtiers par les cable bacteria sur les foraminifères a été documenté dans les vasières intertidales de la rivière d’Auray (Morbihan, 56). Cette forte diminution du pH (1 < ∆pH < 2.4) entraîne la dissolution des tests carbonatés des foraminifères vivants et morts, menaçant la préservation des tests dans les sédiments et leur robustesse comme bioindicateurs ou proxies historiques.
Les foraminifères, des microorganismes capables de sécréter une coquille carbonatée, appelée test, ou d’agglutiner des particules de son environnement, sont couramment utilisés à la fois comme bioindicateurs et paléoproxies des milieux marins car ils sont présents en abondance et que leurs tests se préservent dans les sédiments. Cependant, un phénomène récemment observé pourrait menacer la robustesse de cet outil. Découvertes en 2010, les cable bacteria induisent une forte acidification des sédiments de subsurface, jusqu’à un pH de 6 en milieu marin. Ces bactéries ont une distribution mondiale, et le fort processus de dissolution associé à leur activité pourrait menacer le développement des foraminifères et la préservation de leurs tests dans les sédiments. Cette étude cherche à caractériser l’impact de cette activité bactérienne sur l’état des tests carbonatés de foraminifères vivants et morts.
Dans cet objectif, des mesures haute résolution du pH ont mis en évidence une forte acidification du sédiment de vasières intertidales l’estuaire de la rivière d’Auray (1 < ∆pH < 2.4). Couplées à des analyses ADN (qPCR), nous avons déterminé que ce processus résultait de l’activité de cable bacteria. Cette variabilité contrastée d’acidification du sédiment semble induire divers stades de dissolution des tests carbonatés des foraminifères. Nous avons étudié les communautés vivantes dans les cinq premiers centimètres de sédiment et caractérisé ces stades de dissolution au microscope électronique à balayage. Nous avons observé que les espèces à test carbonaté sont dominantes dans nos assemblages et si les tests sont en bon état à la surface du sédiment, ils présentent en revanche des stades avancés de dissolution dans les niveaux plus acides de subsurface pouvant aller jusqu’à la dissolution complète du test laissant la membrane organique nue. Les espèces à test agglutiné dominent alors la communauté dans le cas le plus acide.
En profondeur du sédiment où le pH est un peu moins acide (5 cm), les quelques spécimens vivants présentent des stades de dissolution plus contrastés, issus d’un mélange des couches supérieures. Les communautés mortes quant à elles subissent plus fortement ce processus corrosif : la perte des tests carbonatés est d’autant plus importante en profondeur du sédiment résultant en une accumulation de tests agglutinés et de membranes organiques très différentes des communautés vivantes. Ces changements dans les assemblages de foraminifères vivants et morts suggèrent que les cable bacteria sont une composante importante des processus taphonomiques à l’œuvre dans les sédiments marins qu’elles colonisent et qu’elles doivent être prises en compte dans l’interprétation des données de surveillance écologique et les études historiques utilisant des microorganismes carbonatés comme bioindicateurs et proxies paléoenvironnementaux. Comprendre la dynamique temporelle de cette activité bactérienne et son effet sur le système des carbonates nous permettrait de saisir l’intégration de cet impact sur plusieurs mois par les communautés benthiques carbonatées et leur potentielle résilience.
> Référence bibliographique : Daviray, M., Geslin, E., Risgaard-Petersen, N., Scholz, V. V., Fouet, M., and Metzger, E.: Potential impacts of cable bacteria activity on hard-shelled benthic foraminifera: implications for their interpretation as bioindicators or paleoproxies, Biogeosciences, 21, 911–928, https://doi.org/10.5194/bg-21-911-2024, 2024
Ce projet a été soutenu par l’OFB (projet FORESTAT), le CNRS (LEFE-CYBER, projet CB-For) et le LPG.
Publié le 15 mars 2024